Il était une fois des hommes fichés dans les arbres tels des clous tête en l’air ou têtes en bas, créatures sylvestres qui pendent à la manière de fruits singuliers. Il était une fois des jeunes filles qui marchent dans la couleur rouge d’un pas élastique, sages et en ordre, jambes dénudées, des oiseaux qui pépient sur un fil et regardent les jeunes femmes défiler sous eux. Il était une fois des lits ouverts qui viennent d’être abandonnés, des vélos posés contre un mur, des papillons rouges fichés sur une toile. Ces êtres, ces objets, ces végétaux, ces insectes semblent attendre : les uns de s’envoler, les autres de descendre, les troisièmes d’être libérés, tous préposés à cette fonction fondamentale, chacun pour des raisons différentes. Ils témoignent par leur présence de ce qui n’est pas mais doit advenir un jour, aussi important pour le salut des hommes que ce qui est. Ce qu’ils attendent ne viendra pas mais ils se délectent d’être là, à cheval entre deux dimension du temps. Les toiles de Sara Badr Schmidt, relèvent de la catégorie du pas encore : chez elle il y a toujours une chaise, un sofa, un fauteuil qui sont là, vides, disponibles, nous invitent à nous poser, à nous asseoir avant de laisser la place à d’autres. La chaise attend le passant comme le tableau attend le visiteur qui va se ressourcer en lui. Elle convie au repos, elle est une absence accueillante, une étape sur un chemin qui n’en finit jamais. Même l’arbre offre ses branches son tronc pour ceux qui s’y suspendent et le papillon ses ailes déployées pour y attraper notre regard.
Cette attente n’est pas douloureuse, elle est calme. Sara Badr Schmidt a une approche récapitulative de la peinture : elle remonte le cours du temps, traverse l’abstrait, le figuratif, s’essaye au collage, parsème ses œuvres de poèmes de Prévert, de phrases ironiques ou poétiques. Cette revisitation des styles est à la fois ludique et pédagogique : Sara Badr Schmidt reprend pour mieux créer à son tour, trouver sa propre voie. C’est une volonté totale qu’elle manifeste, brassant formes, couleurs, commentaires, matières, même les plus triviales, les plus inattendues comme la toile cirée : l’écriture et le dessin échangent leurs prérogatives, se contredisent, se confortent, se rehaussent l’une par l’autre. On dirait parfois des haïku, ces courts poèmes japonais qui éludent le sens, repoussent l’explication, s’énoncent sans se laisser résumer. Ce dialogue est dépourvu d’agressivité ou d’hystérie. Ses tableaux interrogent sans provoquer, ils invitent le spectateur avec humour et délicatesse, lui font confiance. Il était une fois l’art recommencé.
Il était une fois un matin pas comme les autres, une après midi pas comme les autres, voués au temps de la contemplation. L’univers de Sara Badr Schmidt est mystérieux, peut-être, mais dépourvu d’angoisse. C’est un mystère en pleine lumière, le plus troublant sans doute, plein d’une fausse évidence, d’une pseudo-simplicité. Les symboles qu’elle déploie, les yeux, l’oiseau, le paon, la bicyclette ajoutent une dimension onirique mais non dangereuse. L’artiste se confesse. Ces confessions ne nous disent rien d’elle : elle s’expose sans s’avouer, installe une ambiance énigmatique où chacun peut se reconnaître. Les coloris pastel ou clair manifestent une disposition naturellement bienveillante envers la vie. Peut-être retrouve-t-on là une influence orientale, son intérêt envers le bouddhisme. Ses tableaux ne sont pas faits simplement pour être regardés mais médités. Il était une fois une œuvre où il n’y a rien à comprendre, tout à ressentir.
Même assis, ses personnages ont l’air de voler, d’atterrir ou de décoller, portés par une imagination aérienne dans un présent éternel. On dirait des êtres qui flottent dans l’expectative d’une renaissance ou d’une métamorphose. Sara Badr Schmidt fixe dans ses toiles cette qualité rare en peinture et qui en fait tout le charme : la sérénité dans la suspension.
Il était une fois un bébé dans les bras de sa mère et qui pousse un cri.
Il était une fois un peintre qui vient de naitre : Sara Badr Schmidt.