Les limites de la mémoire

Écrire sur le lieu qui est devenu un non-lieu ; écrire sur les limites de la mémoire, sur l’appel à transmettre, à véhiculer… ce type d’écriture est par essence une forme de guérison… 

Briser les tabous qui déclarent l’inutilité des lieux lorsqu’ils disparaissent ; l’agonie de la séparation, de la rupture, de l’éloignement… 

Donner un nom à ce sentiment angoissant d’être dans un lieu autre que chez soi, à la fois immédiat et brut… 

Donner un nom à une émotion : « Laila », une mère, ma mère ; une caresse, une étreinte ; 

l’insistance d’une odeur de maison perdue. « Laila », ou le début de tout, la main qui moule, l’ « abri ». Pourtant, dans notre mémoire douloureuse, les abris convoquent l’odeur de la peur, de la poudre à canon dans les couleurs conformes de l’obscurité. 

Mais « Laila » n’est pas une. Elle est multiple. La coupure amère dans une mer de nostalgie transfigurée ; un espace dans le déni ; totalement hors de la conscience ; un passé entier annihilé. En elle, il y a le salut, la beauté, l’amour et la vie. Et dans le non-lieu, il y a le bruit, le chaos et la soif de néant. L’inconnu n’est pas confiné à un lieu précis. Il s’étend aux nations qui s’effondrent ou est lui-même un effondrement national en cours. 

La plupart d’entre nous, je le crains, sont déchirés entre une maison à être et une autre, qui est nous. 

Dans les champs de doutes qui tournent en rond, aucune Cour suprême ne peut triompher d’un chagrin infini.

Lamia Moubayed, auteur et analyste, Décembre 2023