Once upon a time a little pea
Agial Gallery, Beyrouth
Août – Septembre 2016
« Il était une fois un petit pois » est une installation qui met en lien plusieurs lieux, époques et contextes sociopolitiques autour d’un questionnement : comment des communautés de différentes religions et différentes appartenances ethniques peuvent-elles cohabiter ?
Plus qu’une simple question théorique, c’est surtout l’écho d’une profonde inquiétude : le « vivre ensemble » est une notion fondamentale qui, lorsqu’elle échoue, peut générer une violence sans limites. C’est pourquoi l’installation met en scène la vulnérabilité de l’individu face à la menace de conflits qui le dépassent, mais qui peuvent à tout moment avoir des conséquences dramatiques sur son existence. more
Sara Badr Schmidt n’a jamais évoqué aussi frontalement la Guerre du Liban dans son travail. Elle pensais que le sentiment d’insécurité qu’elle a connu dans son enfance n’avait plus lieu d’être. Mais aujourd’hui la violence prend d’autres formes, et les attentats dans les pays occidentaux se multiplient. Ce projet a d’ailleurs vu le jour au lendemain des attaques contre Charlie Hebdo, à partir de la rédaction d’un texte :
« Nausée. Un écœurement qui prend ses racines très profondément, dans l’enfance. La nausée de savoir que cette vermine continue à se répandre avec son odeur pestilentielle d’abrutissement et de déshumanisation. Cette gangrène, injure au ciel bleu et au chant des oiseaux. Petite, j’ai vu cette vermine naître et se répandre. Je n’ai pas supporté sa proximité. Je suis partie. Elle me rattrape avec ses pattes gluantes et son regard barbare. Elle m’écœure. Ils m’écœurent. Ces hommes qui n’ont plus grand-chose d’homme. Des monstres. J’aurais aimé offrir à mes enfants des rues propres, débarrassées de leurs ombres. J’aurai voulu qu’ils ne connaissent pas la peur de rencontrer la vraie vie les loups de leurs contes. Je dois maintenant leur apprendre le courage de les confronter et de les côtoyer pour peut-être un jour en finir avec ce couperet suspendu au-dessus de nos têtes, le couperet de la barbarie et de la sauvagerie. »
Même si les contes de fées ont parfois des aspects inquiétants, la part de rêve et de poésie qu’ils véhiculent peuvent nous aider à traverser des épreuves. C’est cette résilience qu’elle a voulu mettre en scène, cette façon de trouver des solutions pour réenchanter le monde malgré une conscience de l’horreur.
« Il était une fois un petit pois » est une nouvelle étape de « Borderless », un travail sur les frontières qu’elle a entrepris il y a une dizaine d’années et qui remet en question la notion de frontière, géographique et temporelle. La photo initiatrice de ce projet avait été prise au Sud Liban, sur la frontière libano-israélienne, puis des ciels capturés dans différentes parties du monde s’y sont ajoutés, accompagnés parfois de bandes-son ou d’installations vidéo. Les seuls indices de l’endroit où ont été prises les photos sont des mots reflétant une caractéristique propre de cet endroit.
Ce projet-ci en est le prolongement.
Description
Au centre de l’installation, une pile de matelas sur lesquels dort une petite fille. Elle est placée sous le sommier de son lit, sur lequel repose un énorme petit pois en forme de boulet de canon.
Il s’agit d’un détournement du conte La Princesse au petit pois. Sauf qu’ici, il n’est pas question de fiançailles, mais de survie, pour continuer à rêver. Contrairement à la princesse du conte, bien consciente de la menace, la petite fille a décidé de faire de son sommier un abri, en plaçant ses matelas dessous. Le petit pois est exposé aux yeux de tous : c’est un boulet de canon laqué en vert. more
Le tout est posé sur un tapis sur lequel est écrite une phrase : « A city with a blue sky and a blue sea, a lost cloud ended up in the blue sky, it started to rain, iron rain. » (« Une ville avec un ciel bleu, une mer bleue, un nuage perdu arrive dans ce ciel et il se met à pleuvoir, pluie d’acier. »)
Autour de cet étrange lit, cinq photos de ciel sont montées sur des caissons lumineux. Les pans de ciel sont similaires à quelques nuances près, car les photos ont été prises au même moment dans cinq endroits emblématiques de Beyrouth. Le même mot, « sawa » (« ensemble »), y est chaque fois incrusté.
En bruit de fond, le son de la vidéo projetée à côté. Cette vidéo plonge le spectateur dans un univers méditatif, évocation d’un ciel bleu dans lequel apparaissent et disparaissent des oiseaux. Par intermittence, ce ciel bleu laisse place à l’orage de la guerre. Dans la bande sonore composée spécifiquement pour cette vidéo, une voix récite le texte écrit sur le tapis.
Cette installation nous rappelle que la beauté persiste malgré l’absurdité et l’horreur du monde.
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Des oiseaux apparaissent comme des gouttes de peinture posées sur la toile du ciel et disparaissent pour revenir aussitôt dessinant une figure, aussi fugaces que le ciel est permanent et immuable. En contrepoint, la fresque de Chagall de l’opéra Garnier apparait par bribes, des pans de ciel révélés de façon aléatoire par des éclairs fictifs. N’est réel que ce que l’on perçoit. La composition musicale est de Jean-Daniel Consoloni, les notes de piano viennent faire écho aux taches que forment les oiseaux en apparaissant sur le ciel. Accompagnant les éclairs de l’Opéra Garnier, des sons de tonnerre, réminiscence de la guerre viennent rompre la quiétude du piano.
Vidéo : 4 min – Bande son : Jean-Daniel Consoloni.