Il était une fois une bombe couleur petit pois
28 Août 2017
par Colette Khalaf
Il était une fois une bombe couleur petit pois
Entre les contes d’Andersen et les guerres qui ravagent le Moyen-Orient, Sara Badr Schmidt trouve sa propre connexion en liant, déployant des espaces lumineux et irréels sans frontières.
Il était une fois une jeune fille dont la vie s’articulait autour de l’art (études de design graphique et fin de cursus couronné de succès à Paris). Il était une fois cette même jeune fille, née d’une famille culturellement métissée et qui ne faisait jamais la différence entre les frontières qui sépareraient les hommes. Il était une fois une jeune fille blessée par la guerre, mais qui a voulu clore cette page et quitter le pays pour embrasser de nouveaux horizons plus vastes et plus calmes.
C’était une fille « valise » comme elle aime à se définir. Depuis, cette fille s’est établie en France, et elle est devenue artiste et maman. Rattrapée par ses anciens fantômes, Sara Badr Schmidt sillonne le monde, expose, installe ses travaux et surtout fais parvenir un message tout en clarté et en douceur. Pascal Bruckner décrit son travail comme une « allégorie engagée ». Le point de départ de son récent travail installé à Agial est un projet qu’elle a créé depuis plus d’une dizaine d’années. « Je travaille sur le concept de frontières parce que je trouve que c’est le mal qui gangrène notre siècle ». Borderless titre de ce projet, atteint même la muraille de Chine, s’expose à Venise et Milan, et revient au Liban, où l’artiste a retourné son appareil photo vers l’espace couleur azur au dessus de la la frontière libano-israélienne. Apparaît alors un même ciel aux couleurs nuancées mais identiques, avec quelques nappes de nuages qui s’effilochent par-ci par-là. Ces même nuages qui se sont perdus un jour et qui ont fait pleuvoir du feu et du fer. Sur des caissons lumineux, elle transpose ces bouts de ciel et leur ajoute un même mot, comme un dénominateur commun : « Sawa » (ensemble) pour définir par la suite le ciel de la rue Saint-Nicolas, de la banlieue sud, de Bourj Hammoud, de Mazraa, de Clémenceau ou du secteur du port de Beyrouth. Six régions aux identitées différentes où le ciel capté à la même heure se révèle le même partout.
Domestiquer les démons
Le second événement à la base de cette installation est l’attaque contre Charlie Hebdo qui a provoqué des frayeurs dans l’esprit de ses enfants. « Tous les démons ont ressurgit d’un coup », raconte l’artiste, « comment les dompter, les domestiquer ? » se demande alors Sara Badr Schmidt. Simplement en s’armant de l’art et du langage poétique pour exprimer les non-dits et les horreurs. L’artiste qui surfe entre le design graphique, les arts visuels et la peinture, la sérigraphie ou la typographie, aime à sonder les techniques et à les traduire à sa manière. Tout dépend du message à transmettre. Ce n’est pas un message politique, mais il est certainement dur et réaliste tout comme dans les contes pour enfants. « Le petit chaperon rouge » ou le « Petit Poucet » n’étaient-ils pas, sous une apparence fictive et irréelles, empreints d’une violence bien réelle?
Sur un tapis tissé au Népal est teinté de pigments naturels, Sara Badr Schmidt place un lit où dort une petite fille. Celle-ci a décidé d’affronter la fatalité et la dure réalité en dormant sur un tas de matelas empilés tout comme « La princesse au petit pois » du célèbre conte danois éponyme. Mais contrairement à la princesse, elle posera le sommier en guise d’abri au-dessus de sa tête pour continuer à faire ses rêves d’enfants. Sur ce sommier, le petit pois vert est une grosse bombe couleur petit pois et reste suspendu comme une épée de Damoclès menaçante.
« Il était une fois un petit pois » est une installation qui juxtapose et enchevêtre différentes lieux, époques et contextes politiques. Tout s’articule autour d’un questionnement : comment des communautés ethniques ou religieuses différentes peuvent-elles cohabiter ? Plus qu’une question, c’est l’écho d’un même cri surgit d’une profonde inquiétude qui se répand à travers la planète. Les couleurs où baigne cette installation sont apaisantes, malgré la violence qui y est décrite, car le message de l’artiste se veut non torturant. Il y a ces teintes azurées presque transparentes, mais même dans la vidéo où une nuée d’oiseaux apparaît en formations régulières, il semblerait que ces tâches évoquent les avions de guerre. Dans ces univers totalement différents et complètement étrangers l’un à l’autre, entre les contes d’Andersen et les guerres qui ravagent le Moyen-Orient, Sara Badr Schmidt trouve sa propre connexion en liant, nous déployant des espaces lumineux et irréels sans frontières. Rien n’y est imposé. Chacun peut y faire la lecture qui lui sied.